Dans le Souss, un musée a été totalement dédié à la mémoire du patrimoine amazigh. Des tapis, poteries et portes rustiques y sont exposés ainsi que quelques outils utilisés par les anciens artisans dans la fabrication des bijoux… Et bien sûr et principalement des bijoux en argent. Des pièces d’une beauté rare, bracelets, fibules, boucles d’oreilles, colliers traditionnels… dont certaines remontent aux XVIe et XVIIIe siècles
de bijoux en argent à Agadir, espérant trouver des petites bricoles à faire pour survivre. A part réparer quelques bracelets, colliers ou autres boucles d’oreilles quand la journée est bonne, il ne peut plus aspirer à créer ses propres modèles dans son petit atelier de manière régulière. Parfois, quand la chance lui sourit, il arrive à acquérir quelque 500 ou 250 grammes de matière première pour travailler durant tout le mois.
Le fait est que les fournisseurs, en manque de confiance, ne «lâchent» plus la marchandise facilement. Ils exigent d’être payés d’abord suite aux difficultés rencontrées avec les artisans qui, n’arrivant plus à joindre les deux bouts, deviennent de mauvais payeurs malgré eux. Ainsi, depuis quelques années, les gros commerçants ne s’aventurent plus à remettre de la matière première aux artisans «qui ne ramènent que la moitié de ce qu’on leur a donné», nous explique-t-on à Souk Al Had d’Agadir. Ils préfèrent importer, de manière légale, des bijoux de Turquie et de Thaïlande qui sont très demandés localement. Une opération avec laquelle, certes, ils réalisent un bon retour sur investissement une fois les taxes douanières honorées. Mais en même temps, cela met sur la touche des centaines d’artisans dont le maillon devient inutile et le service pratiquement pas nécessaire.
Comme Lahcen, ils sont aujourd’hui nombreux à souffrir de cette situation. «A mon âge avancé, je ne peux même plus me reconvertir dans un autre métier, je ne sais rien faire d’autre», déplore Lahcen. Le marché local se passe ainsi, de plus en plus, de leurs services car il est pratiquement «noyé» dans la marchandise provenant de Turquie et de Thaïlande, et ces bijoux importés ont tout pour eux: diversité des modèles, finesse dans le travail… et grande quantité et qualité. De fait, dans un pays comme la Turquie, la fabrication des bijoux se fait de manière mécanique et industrielle sous la supervision d’ingénieurs spécialisés. Tandis qu’au Maroc, cette filière reste toujours confinée au stade artisanal et traditionnel.
Difficulté d’accès à la matière première
La décision des commerçants de se tourner vers le marché extérieur est aussi motivée par la difficulté d’accès à la matière première.
La difficulté d’accès à la matière première oblige les artisans à recourir à la refonte. Les machines de fonderie transforment les anciennes pièces ou morceaux inutilisés en plaques ou filaments de différentes épaisseurs. Celles-ci dépendent des modèles que l’artisan veut réaliser. Le grammage 925 par kilo est exigé pour que les bijoux brillent et soient de meilleure qualité
L’argent est là mais les prix montent ou descendent selon la Bourse internationale de Londres. Et la mise en place de points de vente légaux a été un véritable échec. Les acheteurs continuent de recourir au marché noir pour s’approvisionner à un prix qui se stabilise autour de 5 DH le gramme au lieu de 7 DH et plus. Les artisans ne demandent qu’à être fournis en matière première. A cause de l’éloignement, ceux qui passent par les intermédiaires (qui se fournissent directement dans les mines) sont lésés car ces derniers n’hésitent pas à arrondir leurs marges. Il faut signaler à ce propos que le ministère de tutelle exige des artisans de se regrouper en coopératives pour qu’ils puissent être fournis sans passer par les intermédiaires. Une solution qui ne fait pas l’unanimité puisque l’adhésion à un groupement de coopératives nécessite d’avancer une importante somme d’argent, ce qui n’est pas à la portée de tous, explique Lahcen Aseffar, président de l’Association des bijoutiers d’Agadir. Bonne nouvelle cependant pour les artisans puisqu’une convention-cadre vient d’être signée en décembre dernier entre le ministère de tutelle et Managem. Objet, sur la matière première extraite, un quota sera réservé et remis aux coopératives qui se chargeront de le vendre à un prix unifié aux artisans.
«A l’instar d’un pays comme la Turquie, nous aimerions avoir nos propres usines pour fabriquer des bijoux localement et créer des emplois», explique cet importateur. «Pour cela, nous sommes prêts à investir, mais il faut que l’Etat nous soutienne pour l’acquisition de machines de haute technologie et la mise en place de formations spécifiques pour démarrer», a-t-il ajouté. Il précise par ailleurs que la force d’un pays comme la Turquie est aussi de faire des opérations marketing via des séries télé cultes comme «Harem Soultane». Un feuilleton turc qui a fait une si bonne promotion aux bijoux en argent et pierreries que les ventes ont explosé dans les pays arabes. En effet, les clientes demandent les mêmes modèles que ceux portés si gracieusement par les actrices.
En attendant, pour Lahcen et ses confrères, le recours à la refonte des bijoux cassés reste une alternative navrante. Quand c’est possible, un peu de matière première pure est ajoutée pour que le raffinage soit meilleur. Le problème est que parfois, par ignorance ou inadvertance, des pièces rares peuvent être dissoutes. Ce qui porte un coup horrible au patrimoine.
Heureusement, des initiatives sont entreprises de temps en temps pour sauver ce qui peut être sauvé afin que ce capital n’aille pas à la dérive. C’est ainsi que dans le Souss, un musée a été totalement dédié à la mémoire du patrimoine amazigh. Des tapis, poteries et portes rustiques y sont exposés. Quelques outils utilisés par les anciens artisans dans la fabrication des bijoux: soufflet traditionnel, foyer, pince pour tenir le creuset, enclume, marteau…Et bien sûr et principalement des bijoux en argent. Des pièces d’une beauté rare, bracelets, fibules, boucles d’oreilles, colliers traditionnels… dont certaines remontent aux XVIe et XVIIIe siècles.
Des pièces anciennes sont vendues aux enchères à l’étranger, raconte Abdelhak Arkhaoui, président de l’association Tifaout des bijoutiers de Tiznit. «J’ai assisté à Paris à une de ces ventes où un bracelet ancien a été vendu à 36.000 euros. Et le vendeur a présenté la facture légale d’achat. C’est ainsi que notre patrimoine nous file entre les mains au lieu d’être placé dans nos musées», déplore-t-il
«Parmi les bijoux exposés au musée amazigh, il y a des pièces impossibles à reproduire car elles gardent bien leur secret de fabrication par les artisans juifs», explique Lahcen Aseffar. Cet homme a joué un rôle prépondérant dans l’acquisition par la municipalité, dans les années 90, d’une collection de pièces rares appartenant à un de ses amis collectionneurs. En tout, c’est un trésor de plus de 1.400 pièces, soit près de 120 kilos d’argent, réunis durant des années. La Commune urbaine n’avait pas hésité à débourser un montant de 850.000 DH pour que la collection reste dans le Souss au lieu d’être distribuée dans différents musées au Maroc comme cela avait été proposé dans le temps. Vu la rareté des pièces, le prix avancé a plus que triplé aujourd’hui, assure Aseffar en bon connaisseur. Bien sûr, toutes les pièces ne peuvent être exposées en même temps, sachant que le musée du patrimoine amazigh d’Agadir comprend trois spacieuses salles d’exposition sur trois niveaux. Ce sont donc quelque 200 pièces qui sont exposées à la fois, par thème et en un système rotatif. Les visiteurs ont ainsi l’occasion de découvrir des nouveautés à chacune de leurs visites. Il faut rappeler que le musée, qui existe depuis 14 ans maintenant, compte 30.000 visiteurs par an, entre touristes, nationaux et écoliers de la région.
Tiznit, capitale de l’argent
Toutes les villes du Souss tiennent commerce de la bijouterie d’argent, mais Tiznit reste la plaque tournante. La couleur est annoncée dès l’entrée de la ville avec la fibule (ou Tazerzit) comme emblème. Promesse tenue une fois arrivé à l’ancienne médina où se trouvent pas moins de 150 commerces spécialisés dans la vente des bijoux en argent. La kessaria, où règne l’odeur de la menthe fraîche, fait le bonheur des touristes nationaux et étrangers qui peuvent se procurer de petites merveilles à des prix toujours plus raisonnables qu’ailleurs.
Dans les vitrines bien décorées, parures frontales, larges bracelets, boucles, bijoux de poitrine ou de cheville et autres fibules donnent envie d’acheter. Les pendentifs ont parfois une signification religieuse ou traditionnelle. Contre le mauvais œil ou le mauvais sort, le chiffre 5 est reproduit dans la «Khamsa», réputée pour sa vertu protectrice. Avec ses 6.000 artisans, dont 400 spécialisés dans l’orfèvrerie, Tiznit n’est toutefois pas le seul lieu où se travaille l’argent. «Les ateliers pullulent aussi à Tafraout, Ida Ousmlal, Tighmi, Tlat Lakhsass, Chtoua Ait Baha, Taroudant… qui eux-mêmes fournissent Tiznit, explique Baba El Kourchi, délégué de l’artisanat à Agadir. Maillage, niel, filigrane, incrustation de pierres…. les secrets des techniques de l’orfèvrerie d’argent sont transmis dans ces ateliers de père en fils. «Malgré les difficultés que traverse le secteur, nous devons pérenniser notre savoir en le transmettant aux générations futures», explique cet artisan. A Tiznit, l’art de l’argent est tellement au cœur de l’économie que, depuis cinq ans maintenant, un festival lui est spécialement dédié. Ainsi, chaque été, le festival d’argent Timizart met la province de Tiznit sous le feu des projecteurs. Et insuffle une vraie dynamique tant au niveau de l’hôtellerie, la restauration que la vente des bijoux, cuir et autres produits du terroir comme l’huile d’argan et amlou. Les deux dernières éditions ont d’ailleurs permis au public de découvrir, respectivement, le plus grand poignard d’argent pesant 27 kilos et un caftan incrusté de pierres semi-précieuses comme le corail, l’amazonite, l’ambre… et pesant 5 kg dont 2 kilos d’argent pur. Une fierté pour la ville.
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